André Serré est un créateur-son majeur du théâtre français. Après des débuts chez Roger Planchon en 1962 c’est avec Patrice Chéreau sur des spectacles qui ont fait date tels que Toller ou La dispute qu’il invente ces fameux silences “habités” qui feront école et qui lui permettront de travailler avec les grands metteurs en scène de théâtre de son temps (Bob Wilson, Jean-Pierre Vincent, Luc Bondy, Jérôme Deschamps…). Il collabore depuis 1980 avec le festival d’Avignon pour lequel il invente le système unique de soutien des voix dans la cour d’honneur (2500 petits haut-parleurs). Il est également metteur en scène.
André Serré, aux origines d’un métier (partie 1)
Cet entretien avec Marc Chalosse, musicien et créateur-son, a eu lieu à Villefranche-sur-Saône en avril 2012.
Marc Chalosse : Avant de travailler avec Chéreau tu as été l’assistant de Planchon.
André Serré : Je suis rentré chez Planchon en 63 pour pousser les décors. C’est d’ailleurs là que j’ai croisé ton père, sur Les trois mousquetaires. Puis je suis devenu régisseur, et après j’ai été nommé “régisseur responsable des erreurs” – c’était les termes de Planchon – pour l’ouverture de la nouvelle salle en 72. Avant je passais le son en tournée.
Techniquement, ça se passait comment ?
J’utilisais un Revox pour diffuser les musiques de Claude Lochy qui composait pour Planchon.
Musiques qui étaient enregistrées et diffusées quand l’orchestre n’était pas présent ?
L’orchestre n’était jamais présent, il n’y avait pas les moyens pour ça. Donc Lochy composait les musiques et les enregistrait et moi quand j’arrivais la bande était faite.
Et c’était diffusé sur la sono ?
Sur la sono du lieu où on jouait. C’est mes premiers apprentissages : faire du son avec des Revox, faire le montage et diffuser la bande. J’ai une anecdote à ce sujet. J’étais parti en tournée en 71 avec deux spectacles à la fois : Tartuffe et Les Libertins – qui était une pièce de Planchon. J’étais responsable du son, du décor, de tout et je me suis trompé de bande : j’ai mis les bandes des Libertins dans le camion qui allait à Moscou pour Tartuffe et les bandes de Tartuffe dans l’autre camion – j’étais tout jeune à l’époque, j’avais moins de 30 ans. Et quand à Moscou j’ai dit à Lochy, qui était présent, « dis-moi ce que je pourrais trouver qui remplacerait ta musique », Il m’a dit très sérieusement « rien ne pourra jamais remplacer ma musique » (rires) et je me suis démerdé tout seul dans des sonothèques de Moscou à trouver trois morceaux de Lully pour faire une ouverture…
Et donc Chéreau débarque à Villeurbanne en 72.
Chéreau débarque en même temps qu’on ouvre le nouveau théâtre, et comme il fallait que je me trouve un statut et que le poste de régisseur était libre, je suis devenu régisseur-son pour le Massacre à Paris (Christopher Marlowe) qui est la pièce de Chéreau qui a ouvert le théâtre.
Il faut savoir qu’à ce moment-là Chéreau détestait la bande-son de la même manière que Savary d’ailleurs, il crachait dessus.
Le principe de la bande-son ?
Oui, dans Massacre à Paris il y avait la présence d’un petit orchestre – c’était Fiorenzo Carpi qui avait écrit la musique. C’était d’ailleurs très beau, il y avait du violon, un harmonium, des petites choses, un peu comme Nino Rota, sur la nostalgie…
Et juste après le Massacre, Chéreau a été nommé co-directeur du TNP. Il a monté Toller et c’est là en 1973 qu’on a dû faire ensemble la première bande-son du monde – ou presque – et c’était parti du principe tout con que Patrice disait : au cinéma on n’entend jamais le son de la pellicule, c’est-à-dire qu’on entend toujours le son de ce qui est à l’image, même s’il ne se dit rien. Par exemple, si à l’image il y a une forêt, on entend une forêt – on a des sons seuls – et à partir de là on a commencé avec Patrice à faire des ambiances sonores, qui duraient des heures et des heures.
Par exemple, pour les premières bande-sons que j’ai faites avec Chéreau, avant la Dispute, c’était pour Toller, j’ai dû faire des heures de pluie fine mais ça ne lui allait jamais, une fois c’était trop artificiel, trop ceci ou cela… Il fallait enregistrer les vraies choses avec Patrice, il fallait que ce soit vrai ; mais à l’époque je n’avais pas d’enregistreur pour capter des sons en extérieur, rien, donc je prenais des sons sur des vieux disques de bruitages, des vinyles. Alors entre la goutte d’eau enregistrée sur vinyle et la pluie fine réelle, la différence était sensible… Et puis surtout il en voulait une demie-heure, donc je faisais des boucles qui tenaient tout le couloir du nouveau TNP, des boucles qui faisait 20 mètres ! Et lui, il entendait toujours le passage de la boucle, à chaque fois, le scotch : “J’entends la boucle ! J’entends la boucle !”. Je les faisais de plus en plus long, sur les pieds de micros… C’était hallucinant
Mais c’était sur une base d’enregistrements de disques de bruitages alors après… j’avais vu qu’on pouvait faire le son de la pluie en enregistrant le son d’un cachet d’aspirine, des trucs de bruiteur, mais c’était pas régulier…
Mais revenons à Toller si tu veux bien, c’était quoi la bande-son ?
Il y avait seulement deux décors qu’on changeait à vue : d’abord une place italienne – Richard Peduzzi (son scénographe) et lui revenaient du Piccolo Teatro, ils étaient tous deux fous d’Italie, il n’y avait que l’Italie qui comptait – donc la pluie, il fallait qu’elle soit italienne, c’était comique…
Il y avait aussi des chiens. C’est là, avec Chéreau qu’on a commencé à diffuser des chiens au lointain…
Ainsi que la sonnerie de la pendule de la mairie de Villeurbanne toute proche qu’on entendait dans la salle mal insonorisée : la pendule réelle sonnait à 21h, en plein spectacle et moi, une minute après, cette même pendule que j’avais enregistrée, je lui faisais sonner 22 heures ! Ça, Patrice, il était mort de rire !
Mais ça passait inaperçu du public, c’était une private joke ?
Avec Patrice on a toujours travaillé sur le doute : ce son que j’entends est-il réel (extérieur au théâtre) ou artificiel (enregistré) ?
C’est la fameuse histoire des chiens que j’ai peu racontée d’ailleurs.
Chéreau disait : sur cette place, il pourrait y avoir des chiens qui aboient derrière un immeuble.
Jamais au premier plan, toujours au quatrième plan, des chiens donc que je place très très loin.
Je mettais des haut-parleurs dans les dessous de scène pour que le spectateur se dise : c’est marrant comme ça tombe bien ce chien, c’est un hasard ou c’est voulu ?
Évidemment que c’était hyper voulu et pour la petite histoire (mais cette anecdote est drôle) on avait une costumière qui s’appelait Antoinette, paix à son âme, et qui disait : “mais c’est quoi ce chien qui aboie toujours au même moment pendant le spectacle ?”.
Et les machinaux lui ont dit : “il faut que tu ailles lui donner à manger, c’est un chien qui est coincé dans les dessous de scène” (rires) et ça, Patrice, il se tordait de rire !
Donc ça (pluie et chiens) c’était les effets de la place et c’était assez fort ce qu’on avait fait pour l’époque.
Le deuxième tableau, c’était un palais des glaces comme Peduzzi en fait toujours dans ses décors : tout le mur du fond était constitué de miroirs. On s’est dit avec Patrice qu’il fallait que le son résonne comme si on se trouvait dans un palazzo immense.
On avait des moyens à l’époque, Patrice arrivait avec une sorte d’aura qu’il s’était faite en Italie et donc je descendais à ce moment-là quatre micros statiques, mais à la limite de la visibilité et je passais ces micros dans une réverbe AKG qui avait coûté la peau du cul et je les renvoyais sur des HP très directifs au-dessus, dans les cintres, si bien que quand François Simon et les acteurs parlaient, j’avais une réverbe comme dans une cathédrale (c’était en réalité un peu plus finaud que ça), ce qui enchantait Patrice…
Et la pluie, tu la diffusais de quelle manière ?
Sur les HP qui me servaient pour la réverbe, dans les cintres. C’était des Elipson (quatre ou six), des “canons” Elipson extrêmement directifs, qui permettaient avec le micro de ne pas accrocher, parce qu’il fallait que je pousse assez le son.
Je n’ai jamais diffusé avec Patrice de son dans la salle, il avait horreur de ça et d’une manière générale moi aussi, je m’en suis presque fait une spécialité.
D’abord je déteste qu’on “voie” le son (les enceintes de la façade) et ensuite je diffuse beaucoup sur le plateau.
Ce qu’on a fait dans les paravents avec Chéreau par exemple où l’on voyait l’appareil qui diffusait le son : ça se passait dans une salle de cinéma et j’ai mis un très gros haut-parleur avec des trompes Altec, un truc magnifique, comme ça se passait autrefois dans les salles de cinéma. J’ai toujours aimé qu’on voit l’objet diffuseur.
Concept que tu as utilisé pour ton installation sur la musique du beau Danube bleu, on en reparlera plus tard.
Oui, et pour en revenir à Toller, Il y avait aussi, en plus de la pluie et des chiens, un harmonium qui était joué en direct et à vue si je ne me souviens bien.
En fait quand j’y repense, j’aurais dû être viré du TNP parce que Planchon voulait vraiment ma peau. Il en avait marre de moi, j’avais été un assistant, etc, et c’est Chéreau qui m’a sauvé (rires) !
J’avais demandé le poste de directeur technique que Planchon m’a évidemment refusé puisqu’il voulait me virer. Et Patrice pour Toller m’a dit : “j’ai jamais fait de son pour un spectacle et j’ai besoin de toi”. Je crois que sa première décision de directeur ça a été de dire : je veux que Serré reste et donc je le prends pour faire du son. Il n’avait jamais fait de bande son avant.
Il t’a fait confiance sur quelle base, il avait écouté ton travail ?
Non rien. À l’époque, j’avais rien fait.
Chez Planchon, je passais les bandes-son de la musique de Lochy qui servaient à couvrir le bruit des changements de décors entre deux tableaux, ou pour une ouverture-fermeture entre deux scènes, et à l’époque personne sauf peut-être Mnouchkine dans Le songe d’une nuit d’été – et d’ailleurs elle l’a fait après, quand elle l’a monté au cirque d’hiver – n’avait fait de bruitages (au sens d’ambiance sonore) si ce n’est des bruitages illustratifs, genre “ Tiens, on vient !” car on a entendu des bruits de pas juste avant…
Il y a une exception, si je puis me permettre : Fred Kirillov a travaillé au théâtre en 1958 avec Visconti en tant que sonorisateur pour Deux sur la balançoire (pièce de William Gibson). Visconti a demandé à Kirillov de se rendre à New York – c’est une pièce qui se passe à Manhattan – et d’enregistrer des ambiances spécifiques de rue new-yorkaise qu’il a ensuite diffusé en continu pendant le spectacle ce qui, d’après ce que je sais, a été la première occurrence de la “bande-son en continu “au théâtre.
C’était une ambiance, en effet… D’ailleurs ça n’est pas étonnant que Visconti l’ayant fait, Chéreau veuille le faire ! Il avait une grande admiration pour lui, il avait rencontré d’ailleurs.
En tous cas je trouve ça délicieux et génial que Visconti en 58 ait envoyé Kirillov à New York enregistrer des sons.
Mais revenons à cette pluie…
Oui, elle avait une vraie valeur dramaturgique. Elle faisait “virer l’ambiance”, car au lieu d’avoir le silence de la salle, on avait ce que j’ai appelé par la suite des faux silences. C’était diffusé sur le décor de la place italienne.
Patrice voulait que les sons proviennent de la scène, je n’ai jamais fait de multidiffusion dans la salle avec lui. Même l’horloge, j’aurais dû la diffuser géographiquement derrière mais il ne voulait pas.
Il y avait aussi des orages. De toute façon, ce qui a fait ma carrière c’est les chiens, les orages et les grillons pour La Dispute.
Quand Chéreau arrive au TNP pour le Massacre à Paris, tu l’as dit, il déteste le principe de la bande-son. Qu’est-ce qui fait qu’il a basculé ?
Il avait une telle envie de faire du cinéma qu’il s’est dit “pourquoi le son ne procéderait pas de la même manière qu’au cinéma. Et puis il s’est trouvé surtout, je crois, dans un théâtre où il y avait un régisseur-son à demeure. Et comme en plus il voulait me garder, il s’est mis à penser au son, alors qu’avant il ne pensait qu’à la musique. D’ailleurs, pour la petite histoire, quand il a monté Toller, peut-être aussi Le Massacre, si on répétait à deux heures, il me disait de venir à moins le quart pour passer la Traviata à fond : il avait déjà ce besoin d’opéra – il n’en avait monté aucun à cette époque…
On en vient chronologiquement à La dispute (73)
Toller c’était des tentatives, La dispute, ça a été la première fois où le son était assumé et là, au niveau de la diffusion c’était intéressant. Patrice m’avait demandé, où on en avait convenu ensemble, enfin pour les musiques, pour les ambiances on avait inventé ensemble.
C’est la première fois où j’ai fait de la multidiffusion mais uniquement sur le plateau, c’est-à-dire, ça j’en ai jamais parlé, qu’au lieu d’avoir des HP plateau qui servent à tout, chaque musique avait son propre haut-parleur – Chéreau avait tout l’argent qu’il voulait pour ça quand il est arrivé.
La dispute ça commençait par un prologue qui se passait au-dessus de la fosse d’orchestre, dans une petite scène qui était dans la salle avec une planche qui permettait de rentrer en enjambant la fosse.
Ça commençait par la marche funèbre maçonnique de Mozart jouée par un orchestre fantôme situé dans la fosse : les pages de la partition du chef d’orchestre tournaient automatiquement, il y avait tous les pupitres éclairés, les partitions… et moi j’avais mis quatre enceintes Elipson qui coûtaient la peau du cul à l’époque, qui étaient des choses d’haute-fidélité vraiment, et on passait la marche funèbre là-dessus depuis la fosse.
Les enceintes n’étaient donc pas à vue ?
Non elles étaient planquées.
Il y avait donc là aussi en effet de trompe-l’œil, d’orchestre fantôme…
C’est ça. Après, quand le rideau s’ouvrait, il y avait une forêt (il avait mis des vrais arbres), donc quand on ouvrait le rideau au début ça sentait bon, et moi j’avais enregistré des bruits de grillons, des bruits de nuit.
Pour ça, j’étais allé des nuits et des nuits dans le parc des Dombes enregistrer avec mon premier Nagra, un 4S. J’avais demandé au Parc des Dombes de pouvoir enregistrer la nuit, et on m’avait accordé cette autorisation, par contre j’étais extrêmement emmerdé par les camions qui passaient sur la route, donc je coupais, je reprenais, etc. J’ai enregistré des sons extraordinaires, des combats de cygnes, je voyais même pas ce qui se passait, c’était extraordinaire… Patrice voulait que ce soit de vrais sons, pas de disque de bruitages, il n’a jamais voulu…
Il voulait la vérité du son.
Par exemple, il souhaitait qu’à un moment les deux serviteurs noirs qui sont les gardiens des enfants appellent les enfants et que ça résonne. Je lui ai dit : “utilisons une chambre d’écho”, il m’a répondu “Jamais” !
Donc on est allé dans les bois au-dessus de Lentilly pour enregistrer ces voix avec les comédiens de la pièce.
J’étais dans un coin, ils s’étaient placés trois cents mètres plus loin et dans la nuit on a enregistré ces voix en situation acoustique réelle. Elles furent ensuite diffusées tel quel avec un écho, un halo qui était bien réel.
Le tout était diffusé sur une multitude de petits haut-parleurs que j’avais fait fabriquer spécialement par Elipson, des C 8, des petits tubes parce qu’il s’agissait d’envoyer des sons touts petits.
Ils étaient placés où ?
Tout autour de la scène, 32 HP je m’en rappelle.
Pas à vue donc.
Il n’y avait rien à vue. C’était des petits tuyaux en alu qu’Elipson avait fabriqué pour moi, avec un double résonateur, des C8 qui faisait 8 cm de diamètre.
Mais quel était l’intérêt de la chose ?
Moi je disais : pour les petits sons il faut des petits haut-parleurs !
Après j’ai pas arrêté d’en utiliser : d’abord c’est très discret, ça se planque partout et puis parce que pour un grillon, la bande de fréquences, t’as pas besoin de basse !
Ces haut-parleurs étaient bons parce que Elipson avait déposé un brevet sur le double résonateur : c’est un tuyau de 12 cm je crois, avec au fond une double paroi qui fait résonateur de basse, pas de filtre, une seule bande passante.
Et puis, il y avait une musique de Jazz que j’envoyais sur des énormes Altec que j’avais fait acheter au TNP et qui étaient placées en coulisses, au fond.
Avec un son assez fort, diffusé donc du plateau.
En résumé pour La Dispute, il y avait des enceintes à la fosse pour simuler l’orchestre avec la musique de Mozart, les Altec au fond en coulisses pour la musique de Jazz et ces 32 petites enceintes tout autour du plateau pour les ambiances de grillons et d’oiseaux.
Avec plein de choses pas nettoyées d’ailleurs. Parce que c’est là où on a commencé avec Patrice, enfin moi surtout, à faire l’éloge du son sale.
Qu’est-ce que tu veux dire par-là ?
Philippe Cachia qui m’a succédé faisait du son trop propre et ça énervait Patrice, parce qu’il enlevait la moindre rayure et moi j’ai toujours dit qu’il y avait une émotion de la rayure, une émotion du “pas propre” dans la prise de son qui faisait qu’au théâtre, et en mettant les choses de très loin (ça ne serait pas valable au cinéma), que quelque part le malpropre donne de la vie au son. Pour moi ça reste très important.
C’est quoi ces imperfections ?
Par exemple les bruits de main sur la perche : je laissais. Je disais, et c’est peut-être l’éloge de la fainéantise : ça donne de la vie au son. Je pense qu’un son trop propre…
Je ne parle pas de la musique. C’est vrai que pour Planchon, j’ai été le premier à utiliser les enregistrements du label ECM, Keith Jarret… C’était un son presque froid, mais moi j’adorais ça, Manfred Eicher c’est pour moi une référence. Comme la Deutsch Gramophone peut l’être au classique.
Donc c’était ça la dispute. Et d’ailleurs c’était du son qu’on entendait pour ainsi dire pas, parce que Patrice y tenait beaucoup : que ce soit du son qui fasse virer l’ambiance sans qu’on le détermine comme son.
Mais c’était quand même perceptible ?
Oui, c’était perceptible mais ça jouait sur le doute. Il voulait que ce soit un peu comme au cinéma, que ce soit tellement naturel qu’on ne s’en rende pas compte, que ce soit tellement évident que tu ne le sentes pas, que tu ne le “raisonnes” pas et je me rappelle que des copains qui étaient venus et qui sortaient de La Dispute me disaient : “dis donc, t’as pas beaucoup de boulot là-dedans”. Dans La Dispute, je pense que c’est la première fois qu’il y avait un son permanent sur la scène.
Et parallèlement à la dispute, en 73, tu as travaillé avec Vinaver et Planchon dans Par-dessus bord.
Il y avait un musicien : Karel Trow. Bon, mais on m’avait demandé à l’époque de choisir : « soit tu travailles pour Planchon, soit pour Chéreau mais tu ne peux pas travailler pour les deux ».
Moi j’avais dit : je suis payé à l’année, c’est ridicule de me demander de choisir, j’ai la chance de pouvoir travailler avec les deux… Et ils avaient une utilisation du son très différente parce que chez Planchon c’était très illustratif…
Et Il y a eu un moment ou Planchon a dit : « tu fais des ambiances pour Chéreau pourquoi t’en ferais pas pour moi ? ». C’était quand il a fait Dandin, mais avant je ne passais que des musiques pour lui.
Donc il m’a dit : « j’en ai marre de travailler avec des compositeurs, je voudrais que tu fasses les musiques toi-même à partir de montages musicaux ». C’est là que j’ai commencé à travailler avec les musiques de Keith Jarret, avec tous ces musiciens du label ECM.
C’était pour quel spectacle ?
Pour Périclès, Antoine et Cléopâtre, où on a fait des tournées dans les pays de l’est. Et après Planchon a monté Par-dessus bord.
Pour le Tartuffe, il y a eu un drame parce que Lochy était toujours vivant et Planchon m’a dit : « il faudrait que tu fasses des nouvelles musiques pour Tartuffe », mais moi, je ne me suis jamais posé comme compositeur, je n’ai jamais composé une note de musique (à deux exceptions près), ça ne m’intéresse pas.
Et parenthèse, tu as reçu une formation de compositeur ?
Non du tout, j’avais suivi une formation musicale, de l’harmonie, tout ça, je lis bien la musique mais je n’ai jamais fait de composition et je ne voulais pas. En fait jusqu’à mon arrêt, il y a quelques mois (en 2012), j’ai toujours défendu cette position. En plus on peut très bien s’entendre avec les compositeurs. Par exemple j’ai travaillé avec Francois Robert, avec Karel Trow, avec Saignat, avec Fouquet, je m’entendais bien avec eux. Ils faisaient de la musique et moi du son, ce qui n’a rien à voir.
C’est une époque où on a compris, Planchon le premier, qu’il pouvait y avoir quelqu’un qui fasse du son sans faire la musique du spectacle. Ce qui était le plus compliqué, c’est que les musiciens acceptent d’écrire leur musique et de ne pas la diriger… Moi j’étais toujours très respectueux, je leur disais “ça te va comme ça ? Ou comme ça ?”
Quand ils venaient aux répétitions je leur disais “on ne fait pas le même métier, on a deux métiers qui sont complémentaires”.
Le compositeur, c’est comme au cinéma, il peut assister au mixage mais ce n’est pas lui qui le fait… Moi, j’ai imposé tout ça quand même, ça n’existait pas.
C’étaient donc des musiques commandées à un compositeur, qui étaient enregistrées par toi ?
Parfois seulement et enregistrées à Paris en général. Donc les bandes arrivaient du studio, je faisais les montages. Évidemment, quand les compositeurs étaient vivants, je ne découpais pas sans leur demander. Je découpais sous leur ordre, même si après pour découper j’ai fait comme j’ai voulu…
On en vient chronologiquement au Lear d’Edward Bond mis en scène par Chéreau en 75…
J’ai pas beaucoup de souvenirs de ce Lear, curieusement… On était parti dans un système, c’est pour ça que j’ai pas de souvenir précis, par ce qu’on a inventé un système avec Toller et la Dispute et qu’après ce système on la perpétué : des orages, des chiens, des ambiances de pluie, des ambiances diverses… Ce Lear était dans cette continuité.
Mais une précision au sujet des bandes musicales utilisées à partir de ces années-là : j’ai jamais amené une seule musique à Patrice. Il arrivait avec ses disques sous le bras, il disait : « je veux ça de là à là », et après démerde-toi pour le monter pour que ça aille ! Et je répondais : « tu ne peux pas faire une fin comme ça » et il répondait « démerde toi ! », alors je faisais de fausses fins, avec des fausses réverbes.
Le problème technique à l’époque ne l’intéressait pas. Comme on avait cette énorme réverb AKG à ressorts, je faisais de fausses fins, c’était moins brutal.
Toujours avec Planchon la même année (1975) tu fais Les théâtres d’Adamov.
C’était que de la musique enregistrée, pas de son d’ambiance.
Et Loin d’Hagondange, en 77 ?
Loin d’Hagondange, c’est très curieux parce que Patrice et Peduzzi, son décorateur, venaient souvent habiter chez moi, je leur prêtais la maison où j’habite actuellement, et le décor de cette pièce c’est absolument la colline qui est toujours en face de chez moi !
Sinon pour le son, c’était que des ambiances, pas de musique je crois, peut-être que François Simon qui jouait avec Tatiana allumait à un moment une petite radio dans laquelle passait une émission de radio. Donc on avait équipé cette petite radio.
Je me rappelle avoir enregistré au Bois d’Oingt des mariages qui passent avec les klaxons au lointain, des cloches, beaucoup de cloches, etc.
A suivre….
La deuxième partie de cet entretiens est à lire ici.
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