André Serré, aux origines d’un métier (part.2)

André Serré est un créateur-son majeur du théâtre français. Après des débuts chez Roger Planchon en 1962 c’est avec Patrice Chéreau sur des spectacles qui ont fait date tels que Toller ou La dispute qu’il invente ces fameux silences “habités” qui feront école et qui lui permettront de travailler avec les grands metteurs en scène de théâtre de son temps (Bob Wilson, Jean-Pierre Vincent, Luc Bondy, Jérôme Deschamps…). Il collabore depuis 1980 avec le festival d’Avignon pour lequel il invente le système unique de soutien des voix dans la cour d’honneur (2500 petits haut-parleurs). Il est également metteur en scène.

André Serré, aux origines d’un métier (partie 2)

Cet entretien avec Marc Chalosse, musicien et créateur-son, a eu lieu à Villefranche-sur-Saône en avril 2012. Retrouvez la première partie de cet entretien en cliquant ici.

Marc Chalosse : On passe en 1977 où tu travailles avec Bob Wilson sur Edison.
André Serré : Alors, c’était d’autant plus compliqué que ça me faisait un troisième type avec qui travailler. J’avais vu Wilson quand j’étais en tournée à Belgrade avec Planchon. C’était Einstein On The Beach, musique de Philippe Glass mis en scène par Wilson. J’avais été soufflé par le son : les musiques de Philippe Glass enregistrées et passées très fort…
Avant cette date, Wilson passe en tournée au théâtre du huitième pour Une lettre à la reine Victoria et on m’appelle en urgence au TNP parce qu’ils avaient perdu la bande-son du spectacle. Et j’ai fait cette bande pour Bob Wilson et j’ai donc vu le spectacle qui m’a mis sur le cul. Et après on m’apprend qu’il va venir créer Edison au TNP ! C’était une joie formidable parce que je savais qu’il accorde une grande place au son.
Je l’ai donc rencontré à Paris et il m’a dit ce que c’était que le son pour lui au théâtre. Il m’a raconté cette histoire que je trouve extraordinaire : “moi (Robert Wilson), quand je regarde la télé chez moi… Le type qui annonce le journal… Je l’écoute et puis de temps en temps… J’éteins le son de la télé et j’allume la radio et là j’entends autre chose que le son de l’écran et à ce moment je m’aperçois que le présentateur a une cravate jaune, que sa coiffure est comme ça, etc… Quand j’écoute un autre son que celui de l’image, il se passe quelque chose…” Donc ce qu’il voulait, c’est que le son soit toujours décalé.
Pour Edison, il m’a dit : « s’il y a neuf acteurs sur le plateau, il me faut neuf micros HF ». Les premiers HF au théâtre ça a été là, et à l’époque il n’y avait que trois fréquences autorisées, il a donc fallu être dans une illégalité totale. J’ai fait venir du Japon du matériel pour que chacun ait sa fréquence et… Le but était de toujours décaler les voix : si un acteur parle à un endroit du plateau, la voix doit provenir d’ailleurs. Ce qu’il a magnifiquement fait dans Macbeth, où il était seul en scène et où tu ne savais jamais si c’était lui en direct, lui sur bandes, lui décalé… En plus il avait un soufflage intra-auriculaire…
Lui, il m’a appris le décalage des sons, dans Edison j’ai fait ça.

Edison – Bob Wilson ; crédit photo : Marc Euguerand

Et techniquement, du point de vue de la diffusion
Ce n’était pas diffusé à partir du plateau je crois, ça venait de la façade avec justement des points au cadre et sur le côté pour pouvoir toujours décaler, pour que lorsqu’on parle à un endroit, je mets le son à l’opposé.

On entendait leurs voix “réelles” ?
Non pas du tout, il ne voulait pas. Ils ne parlaient pas fort. On entendait plus le haut-parleur que l’acteur.

Avec un décalage de position ?
C’est ça. Pas d’échos, avec la voix sans traitement, le plus naturel possible.

Il y avait des bandes ?
Oui, puisqu’on était obligé d’être deux, d’ailleurs c’est le moment où j’ai fait acheter un huit pistes, mais je n’ai pas un grand souvenir de ce qu’on a diffusé. Peut-être des voix enregistrées ?
Je me souviens qu’on s’est beaucoup fâchés. Il disait qu’il s’intéressait au son, mais en fait on passait toujours les derniers, fallait faire ça à la va-vite alors qu’il passait des heures sur la lumière.
Après j’ai retravaillé avec lui à l’opéra de Lyon, j’ai fait deux Médée : le Médée de Charpentier et celui de Gavin Bryars avec qui je suis resté très ami. Dans le Charpentier il y avait un son de prologue au début, et dans le Bryars il y avait pas mal de sons qui intervenaient, des bruitages qu’il voulait très mal faits alors que je m’appliquais à les faire très bien. Pour Bob Wilson, un « bruitage mal fait » voulait dire que le son parte mal, qu’il soit rayé, etc. Et il bossait à l’époque avec Hans Peter Khun.

Revox huit pistes

Qui est Hans Peter Khun ?
C’est au départ un musicien allemand qui fait le même travail que moi. C’est un compositeur intéressant par ailleurs…j’aime bien.
Après, il a fait des musiques pour Wilson…c’est très beau. Il a écrit je crois une musique pour Sacha Waltz à Avignon… Il avait demandé des basses énormes, c’était bien.
Avec Wilson c’était vraiment à l’américaine. Je me rappelle quand je faisais le son de Médée à l’opéra de Lyon, il rentrait dans la cabine-son pendant la représentation et il me disait en anglais “tu sais que tu es vraiment en train de faire de la merde” et il refermait la porte… Et ensuite, tu ressortais boire un coup avec lui, tout allait bien !
Enfin il y avait ce travail sur le son que je ne comprenais pas et qui était de dire : pour qu’on comprenne bien que c’est une bande-son, il faut que ça fasse vraiment bande-son.

Alors que toi tu étais plutôt dans le trompe-l’œil…
C’est ça, et c’est d’ailleurs un problème qui se passera beaucoup plus tard avec Jérôme Deschamps, sur cette question de la bande-son. Il me disait toujours : “ça fait bande-son” jusqu’au jour où je lui ai dit : “Jérôme, ça fait bande-son parce que c’est une bande-son !”.

Ensuite, avec Chéreau il y a Les paravents en 1983.
Alors ça c’est à Nanterre, mais avant toujours à Nanterre pour l’ouverture il y a eu un Combat de chiens et de nègre.

Et la bande-son ?
Combat de nègres et de chiens ça se passait dans la jungle. C’est facile : je n’ai fait que de la jungle et des bruits de générateurs électriques… Il aimait beaucoup – ça c’était Koltès qui avait vécu en Afrique – il aimait beaucoup le bruit des générateurs et c’est d’ailleurs dans l’écriture de la pièce. Donc les chiens, les bêtes, la jungle présente tout le temps… je ne pense qu’il y avait de la musique.

Pas de HF ?
Jamais avec Chéreau, il n’en voulait pas à l’époque.

Et Les paravents, la même année ?
C’est là où j’avais sorti ce haut-parleur de cinéma dont je parlais précédemment… Est-ce qu’il y avait des musiques… Ah oui ! La petite note que j’ai jouée dans Les paravents. Comme Patrice venait d’être nommé à Nanterre, de faire Combats de nègres et de chiens et de tourner L’homme blessé, pour la première fois il n’avait pas le temps et c’est donc la seule fois où j’ai mis de la musique que j’ai choisie moi-même. Évidemment il n’aimait pas puisqu’il ne l’avait pas choisie !

Quel genre de musique ?
Je ne me rappelle plus précisément, c’était des trucs de cinéma. Tout ça se Je ne me rappelle plus précisément, c’étaient des trucs de cinéma. Tout ça se passait dans un cinéma des années 60 qui était reconstitué. Il avait transformé la salle de Nanterre pour en faire un cinéma des années 60, c’était magnifique et moi j’avais mis de la musique de cinoche, des variétés, de la musique de cinéma. Et c’est donc la seule fois, par fatigue ou manque de temps où il a accepté des musiques qu’il n’avait pas choisies lui-même.

On en vient à La fausse suivante (1985).
C’est le dernier que j’ai fait avec lui, c’était pareil : des chiens, des horloges (rires) des ambiances et peut-être de la musique… Et c’est là qu’il m’a annoncé qu’il voulait se séparer de moi. Il a changé tous ses collaborateurs à la même époque (à part Peduzzi qui avait une sorte d’emprise sur Patrice). On s’est quittés bons amis.

La fausse suivante – Patrice Chéreau ; crédit photo : Nicolas Treatt

Et avec Diot ?
Je n’étais pas en relation avec Diot… C’est Chéreau qui a amené Diot au TNP. Diot, son trajet, c’est la télévision : il était cameraman avec Jean-Christophe Averty, puis chef opérateur avec Raoul Sangla sur l’émission de Denise Glaser (Discorama), il a été directeur de la photo et content de partir de la télé pour aller faire du théâtre, ce qu’il n’avait jamais fait… Il ne connaissait pas le théâtre.
Patrice aime ça, « détourner » les gens : amener un éclairagiste qui n’avait jamais fait de théâtre, à faire au théâtre une lumière de télévision. C’est toute son approche vers le cinéma : il voulait une lumière d’image…
Pour en revenir à Diot, c’est le plus grand poète de la lumière, encore maintenant…

C’est une approche purement cinématographique…
En revanche pas du tout quand il a travaillé avec Planchon. De même que Planchon ne me demandait pas un son réaliste, Diot s’est mis à la couleur, alors que Patrice détestait ça (il voulait des lumières froides)…

Réalistes…
Oui très réalistes, tandis que Planchon lui demandait des couleurs. Et Diot qui n’avait jamais fait ça est devenu le roi de la gélatine avec des roses, des bleus, des jaunes, des ambres et il s’est mis à aimer la couleur, qu’il a d’ailleurs magnifiquement utilisée avec des tas d’autres gens…

Et je suppose que travailler avec Diot a eu une incidence sur ton propre travail, et réciproquement ?
L’incidence sur mon travail est fondamentale pour une seule raison – et je l’ai rarement dit – parce que moi, j’avais un peu un problème d’identité dans le son, je le dis un peu à rebours maintenant. 
Dans Toller et dans La dispute, Patrice me demandait des choses mais… Mais moi je ne savais pas comment être différent des autres pour le son, et j’ai pris Diot comme modèle… Je me suis dit : Diot fait une lumière très minimaliste est très intégrée, et bien moi je vais faire du son extrêmement réaliste. Donc, au lieu de faire des sons tonitruants qui font des changements et tout, faisons du son qu’on n’entend pas, comme lui faisait une lumière extrêmement… Comment dire… Par exemple avec lui il n’y avait jamais d’effet, il n’y avait jamais un noir sec, il y avait toujours des choses qui passaient et je me suis dit, ce que fait Diot pour la lumière, je vais le faire pour le son.

Vous aviez des discussions là-dessus je suppose ?
Non et puis André c’est pas un homme de discours, c’est pas un théoricien, c’est un homme qui fait des choses très belles… Que par exemple il n’assiste jamais aux représentations : son travail s’arrête à la générale, il n’est même pas présent à la première…

Retrouvez la première partie de cet entretien en cliquant ici.

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