A la fois comédien et créateur sonore, ayant joué entre autres pour Stanislas Nordey, Pascal Kirsch, Arnaud Meunier ou Lazare, créé notamment le son pour Vincent Macaigne, Francois Verret, David Geselson, Jean-Pierre Baro… mais aussi composé pour le rappeur Kery James et pour des films documentaires, le parcours de Loïc Le Roux illustre parfaitement ses propos lorsqu’il dit « notre métier, c’est un peu savoir tout faire ». Formé au TNB pour sa casquette de comédien, et autodidacte assumé pour celle de la création son, il nous fait à son tour le plaisir de livrer à silencesplateaux les dessous de sa fabrique, depuis l’acteur sur scène dans sa relation au son, jusqu’au génial « bidouilleur » sonore derrière ses machines.
« Un son qui peut être riche et complexe en soi peut devenir bavard dans une scène et, à l’inverse, une fréquence pure peut être bouleversante au bon moment. Je pense que c’est ça la spécificité de notre art. Et qu’il faut savoir un peu tout faire, mais surtout savoir le mettre en relation avec le plateau. »
Loïc Le Roux
De l’acteur au créateur son
J’ai commencé à m’intéresser au son à la fin des années 90, j’avais 19, 20 ans. A ce moment-là je suis étudiant en Art du spectacle à Saint-Denis (Paris 8) et je joue comme acteur avec plusieurs compagnies. Et on fait tout nous-même.
Je ne suis pas musicien mais j’aime la musique, j’aime en découvrir et c’est naturellement que je me mets à chercher des sons pour les spectacles que nous créons.
La première fois que j’y touche, c’est avec la compagnie Humeur Locale fondée après le lycée. On répète et on dort dans le théâtre et je me rappelle passer mes nuits à écouter tous les disques que je peux, chercher des morceaux, copier des mini-discs, boucler des parties, comprendre comment marche la console…
Après ça, je commence à travailler sur les bandes-son des compagnies avec qui je joue, et puis pour d’autres. Ma première création son se fait avec un walk-man K7 branché sur un ampli de basse avec la Cie Lézards Hurlants.
A ce moment-là, j’écoute beaucoup de hip-hop ( le rap français explose), de trip-hop, de musique à base de beat, de basse et de sample et cette manière de faire de la musique me fascine.
Petit à petit je m’équipe de logiciels, d’un sampler et je commence à faire mes propres sons.
En 2000, quand je rentre au TNB comme élève acteur, je viens avec une MPC2000XL dans ma valise et je continue à faire du son. Nous sommes dans un grand théâtre et c’est aussi l’occasion d’en apprendre plus sur la régie, d’essayer des choses lors d’ateliers ( notamment avec le compositeur Marc Monnet) ou de cartes blanches. Et puis j’y ai rencontré des intervenants dont le rapport au son m’a beaucoup marqué et inspiré, je pense à François Tanguy, Bruno Meyssat ou Michel Zurcher qui ont chaque fois ouverts la manière dont j’envisageai le son et son rapport au plateau.
En 2003, je sors du TNB et je suis engagé la même année comme acteur par Stanislas Nordey dans La puce à l’oreille et comme créateur/régisseur son par Laurent Sauvage dans Orgie, les deux au TNB, et je commence ma vie professionnelle à deux casquettes.
J’alterne donc les deux métiers pour des compagnies différentes.
Et j’aime le fait de passer de l’un à l’autre, les deux me nourisssent (au propre comme au figuré).
Dès mes débuts comme acteur, je veux comprendre ce qui se passe en régie, participer aux montages… D’ailleurs je considère que mon travail dans le son relève autant de la technique que de la création artistique et que s’il y a une frontière entre artistes et techniciens, entre le plateau et la régie, elle ne me concerne pas.
Je n’ai jamais voulu choisir ( et pourquoi le ferai-je ?), j’aime créer du son en regardant un plateau, rêver avec mes machines et être en régie, et j’aime aller sur scène et jouer.
Ça n’en est pas moins deux expériences très différentes, qui demandent une disponibilité, une imagination, un corps différents. Le corps n’est pas le même derrière la console ou sur scène.
D’ailleurs je n’ai fait que l’un ou l’autre pour le même metteur en scène. Il y a les metteurs en scène pour lesquels je joue et ceux pour lesquelles je fais du son. Ça s’est fait comme ça jusqu’à maintenant.
Mais je considère qu’il y a un endroit où les deux pratiques au théâtre se rejoignent. Ce que l’on travaille, avec le son ou avec son corps et sa voix, c’est une vibration, une densité de l’air, une relation avec l’espace et le temps. On crée de la tension ou du relâchement, de la proximité ou de la distance, de la rupture ou de la continuité. Ce qu’on sculte, c’est la matière entre nous.
Ce qui fait pour moi la spécificité du son au théâtre, c’est qu’il arrive toujours dans une relation. Un son a du sens parce qu’il crée une relation avec l’espace scénographique, avec le rythme de l’acteur, avec la mémoire et l’imaginaire évoqués, avec la lumière et la vidéo. Un son fait une entrée et une sortie, que ce soit en glissant discrètement ou en surgissant.
L’endroit dans l’espace et le temps où il intervient change radicalement sa nature. C’est arrivé plus d’une fois qu’un son qui « fonctionne » ( ce mot est désagréable) dans une scène à un moment, ne fonctionne plus si autre chose modifie cette scène ( le jeu de l’acteur, l’espace…).
C’est pourquoi je considère la diffusion du son, le placement des enceintes ou le geste du fader comme partie intégrante de la création sonore. Parfois plus que la création même du son ou de la musique en soi.
J’aime aussi imaginer le son comme une extension de l’acteur. Comme si l’acteur était une sorte de super-héros télépathe dont l’intensité puisse tordre l’environnement, faire trembler les murs ou au contraire faire silence.
C’est un rapport que j’ai beaucoup travaillé avec Jean-Pierre Baro, notamment dans Woyzeck-Je n’arrive pas à pleurer où le son était beaucoup traité comme une extension de l’esprit de Woyzeck, et où le son du juke-box sur scène pouvait se distordre avec lui.
Dans Doreen de David Geselson, il y a une longue séquence avec de la pluie qui se transforme en tempête dans leur maison.
La pluie, c’est un classique. Ça demande un vrai travail de diffusion, de texture et de mouvement pour être non pas réaliste mais sensible. C’est à la fois le temps qu’il fait dehors et dedans. C’est toujours une pluie mentale. J’ai envie à la fois que le spectateur pense qu’il pleut vraiment dehors, et que la sensation qu’il en résulte soit liée à notre histoire. La scénographie représente le salon d’une maison et le plafond est une toile, en coton je crois. Doreen est atteinte d’une maladie et j’imaginais sa douleur comme d’innombrables aiguilles. J’ai travaillé sur le son d’une pluie qui tomberait sur cette toile de coton ( c’est absurde et pourtant je crois que le spectateur a la sensation de la pluie avant de penser « il pleut sur la toile du décor »). D’abord imperceptiblement, insidieusement, puis assourdissante. Je pense ce son à la fois comme des pics de douleurs grandissants et comme l’annonce de l’insupportable. Petit à petit, la pluie se transforme en tempête à l’intérieur du salon, à mesure que la douleur et la colère grandissent ( et j’imagine que Laure Mathis est un peu comme Tornade des X-Men mais ça, je le garde pour moi! ).
Je pense aussi à Vincent Macaigne qui me demandait un son d’infrabasse à faire trembler les murs du théâtre dans Au moins j’aurai laissé un beau cadavre en disant « pour moi, c’est pas vraiment du son, c’est de la scénographie ».
Je ne me présente pas à un metteur en scène avec mon esthétique. Je ne me considère pas comme un musicien ou un compositeur qui aurait son propre univers indépendamment du spectacle. Je cherche avant tout à comprendre l’imaginaire du metteur en scène et à le partager. Cela dit je ne suis pas neutre et je travaille avec ma propre sensibilité, mes goûts et mes limites.
Dans ces goûts, il y a mes premières amours ( des années 90) pour le hip-hop instrumental, le trip hop, les beats, les grosses basses et les petits samples. Et puis les nuages de Xenakis, les continuums d’Eliane Radigue, et les synthés de Suicide. Dans mes limites, je suis quasiment analphabète en solfège et au mieux amateur éclairé comme ingénieur du son. Pourtant je fais mon son et ma musique en enregistrant, en composant, en mixant, en plaçant les enceintes et en jouant de la console pendant le spectacle.
Je connais des gens qui sont beaucoup, mais beaucoup plus pointus que moi comme compositeur, sound designer, preneur de son, ingénieur du son… et c’est rien de le dire. Et ce sont tous des métiers et des arts à part entière qui demandent chacun un énorme travail. Je pense que ce qui fait de notre terrain de création sonore au théâtre une discipline particulière est notre capacité, justement, à mettre ces choses en relation. Les morceaux que je compose au théâtre n’ont pas de sens hors de leur contexte. Ils sont mixés dans un espace, en relation avec un moment. Peu importe la qualité d’une prise de son en soi, elle n’existe qu’à l’endroit de sa diffusion ( par exemple une vieille radio au fond de la scène). Un son qui peut être riche et complexe en soi peut devenir bavard dans une scène et, à l’inverse, une fréquence pure peut être bouleversante au bon moment. Je pense que c’est ça la spécificité de notre art. Et qu’il faut savoir un peu tout faire, mais surtout savoir le mettre en relation avec le plateau.
Et ces moments-là se reconnaissent. Sur chaque création, il y a un moment où je cherche, je travaille beaucoup en répétition, quitte à rester sous mon casque en regardant les acteurs, et puis j’essaie des choses. Et il y a un moment où on trouve. Et on le sent. Les acteurs, le metteur en scène, moi. On sent la piste. Pour moi, c’est ce moment là qui nous dit « c’est le son du spectacle ».
Quand on a créé « A vif » de et avec Kery James mis en scène par JP Baro, j’ai cherché pendant un bon moment. J’ai dit que j’aimais le hip-hop, je peux dire que là, je m’étais mis une pression particulière. Quand, au bout d’un mois de répetition, j’ai envoyé un son pendant la pause, que Kery James est venu en régie en bougeant la tête sur le beat et en disant « il est bon ce son, tu me l’envoies ? » je me suis dit que c’était bon signe. Et j’ai appelé ma mère.
J’ai commencé après les REVOX, avec les K7, les CD, les MD, les sampleurs. Je travaille avec le logiciel Ableton Live depuis 2003, avec N.I. Reaktor (j’aime créer mes propres patches) et depuis quelques années je construis mon système modulaire comme une machine à sons très réjouissante et inouïe.
Étant parti assez ignorant, chaque spectacle a été pour moi l’occasion de me former aux techniques du son et d’envisager la création différemment.
Par exemple, en 2004, je fais le son de Noir, continuum de Tarkos, et on décide que tout le son se fera à partir d’une plaque en métal jouée par un percussionniste (Eric Fernandes), et je travaille aux effets, je soude des micros piezzos… Un autre spectacle, je fabrique des petites enceintes, un autre je sonorise un groupe, un autre j’apprends la synthèse granulaire, un autre je vais faire des prises de son d’éoliennes dans la Beauce, un autre on est en plein air etc… et là je viens de découvrir la musique des films égyptiens des années 80.
Je ne serai jamais un compositeur comme Ennio Morricone ou RZA, ni un orfèvre de la prise de son ou du mixage, ni ce régisseur exceptionnel capable de caler le système et les micros HF en 20mn. Je suis celui qui sait mettre le son en relation avec le plateau.
Evidemment, là, c’est pour écrire l’article. En vrai, je passe aussi pas mal de temps à juste trouver des solutions pour que ça marche…
Photo de Loïc Le Roux : Isabelle Jouvance/ Théâtre Le Canal Redon