La genèse de Silences Plateaux

Article écrit par David Segalen, extrait du numéro 241 de la revue L’Actualité de la Scénographie

Extrait de l’article paru dans l’AS numéro 241

Lancé en octobre 2020 à l’initiative de Margaux Robin et Antoine Richard, rejoints depuis par Thibaut Farineau, le site silencesplateaux.fr offre un nouveau point d’ancrage aux professionnels des métiers du son pour la scène : lieu de ressources, d’échanges et d’informations autour des
pratiques et des techniques. Il s’enrichit d’un espace rédactionnel collaboratif, miroir de la diversité des femmes et des hommes qui exercent dans la profession.

Suis-je le.la seul.e à…

Margaux Robin et Antoine Richard sont tous deux créateurs sonores au théâtre, issus de l’Ensatt (École nationale supérieure des arts et techniques du théâtre) à Lyon. Ils se rencontrent à l’occasion de la reprise de régie d’un spectacle et échangent sur le sentiment partagé d’une certaine solitude dans l’exercice de leur métier.


Antoine Richard : En 2016, j’avais entrepris le projet un peu fou d’organiser des rencontres autour de la création sonore ; mais ce projet n’a pas pu aboutir. Je me sentais isolé dans ma pratique et ressentais le besoin d’ échanger avec mes pairs. Nous utilisons les mêmes outils, vivons des processus créatifs proches mais avec la sensation paradoxale d’être d’éternels défricheurs. Beaucoup de principes ont déjà été expérimentés mais ne se sont pas transmis.


Margaux Robin : Quand Antoine m’a parlé de ce projet avorté de rencontres, nous avons décidé de construire quelque chose ensemble. Nous ressentions cette urgence de pouvoir communiquer autour de notre activité. L’idée du site Internet s’est vite imposée. Cela nous semblait le bon outil pour rapidement permettre ces échanges. Lançons cet espace et voyons comment les gens s’en emparent !

S’ensuit une année d’intenses réflexions, de consultations, d’écriture, de webmastering, pour aboutir à cette plateforme qui se veut à l’image du métier, conçue pour et par ses acteurs dans un souci de croisements et de rencontres. Le choix du titre a été longuement débattu explique Antoine :
“Le nom devait être porteur de l’idée d’un lieu (important car le site se veut d’abord un espace de rencontres) avec une connotation au sonore. La dernière contrainte était qu’il ne soit pas déjà référencé sur le web, pour éviter d’être invisible… Nous avons finalement choisi ‘silences plateaux’, au pluriel, pour donner de la profondeur et de la multiplicité au sens des mots et ainsi se détacher du cinéma”.


La section des Forums se retrouve logiquement en tête de site. Ses nombreuses branches reflètent le souci d’exhaustivité et de proximité avec les préoccupations des acteurs consultés. Par exemple, nous trouvons dans la rubrique Technique un sujet traitant des outils de spatialisation en temps réel ; un autre traite des astuces logicielles permettant de faire sonner un téléphone portable sans passer par un réseau téléphonique. Ce dernier sujet est représentatif de l’esprit souhaité : échanger sur des questions pragmatiques liées à la création sonore pour la scène.

La rubrique Création propose une série de sujets balayant les problématiques transversales de l’activité : son et espace, son à l’image, scénographie, droits d’auteur, utilisation de sonothèques, usage des micros HF, … Parmi tous ces sujets très concrets se distingue un sujet plus atypique, emblématique des fondements du projet. Il pose cette question presque philosophique : suis-je le.la seul.e …
Les aspects administratifs, les tournées, les droits d’auteur, les formations sont également abordés, sans oublier l’indispensable rubrique “Petites annonces”.

Photo extrait d’un carnet de notes au moment de la création de Silences Plateaux

Des visages sur des pratiques

La ligne éditoriale du site s’exprime dans la partie magazine, constituée d’articles sur les gens du métier. Comme aime à le souligner Antoine, cette section intitulée simplement Articles confère au site un air de “galerie de portraits de la profession”. Les objectifs sont clairs : créer du lien, donner
de la visibilité et une meilleure compréhension du métier.


Antoine Richard : Il nous semblait important de pouvoir mettre des visages sur les professionnels. C’est sans doute une particularité de ce métier : il existe autant d’approches, de manières de l’exercer que de personnes. Leur proposer cet espace d’expression nous a semblé la meilleure manière de parler du métier. Les premiers témoignages publiés sont même des autoportraits réalisés par les créateurs à notre demande. Nous souhaitions qu’ils nous racontent leur fabrique, leur endroit de création, hors du contexte de la technique ou d’une création en particulier.

Un entretien entre Marc Chalosse et André Serré retrace le parcours exceptionnel d’un pionnier du métier. Il parle de sa collaboration avec Patrice Chéreau : la conception complexe d’un son qui ne devait surtout pas se faire entendre et les premières expériences de multidiffusion au théâtre. Avec Bob Wilson, c’est une toute autre approche. Le metteur en scène lui transmet son écoute décalée du son, résumée par cette anecdote : “Moi, quand je regarde la télé chez moi… le type qui annonce le journal… je l’ coute et puis de temps en temps… j’éteins le son de la télé et j’allume ma radio. Et l , j’entends autre chose que le son de l’écran. C’est à ce moment que je m’aperçois que le présentateur porte une cravate jaune, qu’il est coiffé de cette façon, … Quand j’écoute un autre son que celui de l’image, il se passe quelque chose”.
Techniquement, c’est l’époque des premiers micros HF au théâtre et des kilomètres de bandes-son magnétiques. En nous confiant l’histoire des collaborations privilégiées avec ces grands metteurs en scène, André Serré retrace l’invention d’un espace de créativité au théâtre qui se démarque de la musique de scène. Cette dualité entre création sonore et composition pose déjà la question de la définition des frontières du métier et de sa légitimité. C’est un sujet toujours actuel.


Samuel Favart-Mikcha, dans un entretien intitulé  “Une certaine musicalité sonore”,  évoque cette problématique du créateur sonore et musicien autodidacte : “Comment estimer qu’un son est musical ? Qu’un musicien est compositeur ? Qu’un créateur sonore est un artiste ? Artisan du son me plaît plus que sound-designer mais c’est une histoire de sensibilité. Ce sont souvent les autres qui définissent le mieux ce que nous faisons. […] Un jour, une personne m’a demandé : comment appelles-tu tes sons ? Des plages ?
L’idée de créer des plages avec le son m’enchante ! L’étendue, le mouvement, l’infini, …
”.


Parmi les autoportraits, celui de Loïc Le Roux, créateur son et comédien. Autre dualité, autre particularité qu’il nous partage : “[…] Il existe un endroit où ces deux pratiques au théâtre se rejoignent. Ce que l’on travaille, avec le son ou avec son corps et sa voix, c’est une vibration, une densité de l’air, une relation avec l’espace et le temps. On crée de la tension ou du relâchement, de la proximité ou de la distance, de la rupture ou de la continuité. Ce que l’on sculpte, c’est de la matière entre nous. C’est la spécificité du son au théâtre : il s’exprime toujours dans une relation […] : avec l’espace scénographique, avec le rythme de l’acteur, avec la mémoire
et l’imaginaire évoqués, avec la lumière et la vidéo. Un son fait une entrée et une sortie, que ce soit en glissant discrètement ou en surgissant
”.

Dans son “Portrait d’une faiseuse de sons”, Sophie Berger nous livre une autre approche sensible. Elle évoque son rapport au sonore à travers ses deux passions, le théâtre et la radio : “Ce qui m’importe surtout dans la prise de son, plus que de capturer du réel pour l’étiqueter ‘son de quelque chose’, c’est d’arriver à capter des embryons d’histoires. Que le son enregistré ‘raconte’ déjà, contienne en lui un horizon, un mouvement, […] qu’il tracte d’emblée l’imaginaire du spectateur”. La narration de sa quête d’un son de corne de brume sur un cargo en mer nous rappelle que la
prise de son est un art du subtil et de la détermination.

L’entretien croisé entre Mme Miniature et Lucas Lelièvre est là pour rappeler que la collaboration et la complicité existent tout de mmême dans le métier. Ils retracent leur parcours commun, de la relation professeur/élève au TNS jusqu’aux créations écrites “à quatre mains”.

De droite à gauche, Antoine Richard, Margaux Robin et Thibault Farineau

Un centre de ressources

La rubrique Les métiers et formations est à visée clairement pédagogique et se tourne vers l’avenir.

Antoine Richard : Nous avons souhaité que le site puisse concerner les praticiens actifs mais aussi les futurs arrivants dans nos métiers. En  élaborant ce projet, nous nous sommes rendus compte qu’il y avait peu de renseignements en ligne sur la pratique de créateur sonore pour le spectacle vivant. C’est important d’avoir un lieu ressource quand on est étudiant ou jeune débutant sortant de formation.


Dans un premier pan, la page dresse un panorama des qualités et fonctions de la créatrice ou du créateur sonore, mais aussi des métiers partenaires de régisseur.se de tournée ou d’accueil. La description détaillée permet au profane de mieux comprendre les attentes du métier et les enjeux liés à ces différents postes de travail. Comme le souligne Margaux Robin : “[…] Un grand nombre de métiers s’apparente à la création sonore. Il existe de nombreuses façons de s’en approcher. Cela participe sans doute à entretenir du flou autour de la profession. À la différence d’un mixeur de cinéma, par exemple, qui travaille toujours dans le même environnement technique, nous sommes amenés à utiliser une grande variété d’outils et sommes confrontés à des problématiques différentes d’un projet à l’autre. Le métier est difficile à cerner et donc à appréhender”.

La création sonore n’est pas un dogme, n’est pas normée, ne s’inscrit pas dans une chaîne de production séquencée comme pour le son à l’image. Il n’existe pas de mode d’emploi pour aborder un travail de création. Certains sont musiciens, d’autres pas. Par contre, il existe des enjeux, des responsabilités, des temporalités, une relation à l’espace et aux interprètes et bien entendu des techniques particulières que sont seuls à partager les créatrices et créateurs sonores. Ce corpus à géométrie variable est constituant d’un savoir-faire spécifique de l’écriture du son pour la scène.
Un second volet est dédié à la formation. La présentation de l’offre est très complète, découpée en six sections : Formations post-Bac, Grandes Écoles, Préparation aux Écoles, Formation professionnelles, Formations universitaires et Formations privées. Des liens vers les sites référencés permettent à l’étudiant qui cherche une filière de découvrir toute l’offre nationale à partir de l’adresse silencesplateaux.fr/metiers-formations. S’il n’existait pas, il faudrait l’inventer !


Une page Documentation dresse une liste d’ouvrages (essais, thèses, articles, …) ayant trait aux connaissances historiques, théoriques, philosophiques ou techniques sur la création ou la réalisation sonore sous ses différentes formes : musique, radio, cinéma. Pas étonnant d’y retrouver les ouvrages de Daniel Deshays, fondateur de la formation de conception sonore à l’Ensatt et pr curseur d’une pensée de l’écriture sonore au théâtre, mais aussi l’indispensable Le Son du théâtre XIXe – XXIe siècle, une plongée dans l’histoire des métiers du son au théâtre, conduit par Marie-Madeleine Mervant-Roux et Jean-Marc Larrue. Michel Chion, Pierre Schaeffer, John Robinson Pierce et bien d’autres encore complètent cette bibliographie indispensable.


Enfin, les auteurs du site ont souhaité l’ouvrir vers de possibles ailleurs. Si ce projet est dédié aux métiers de la scène, les passerelles existent naturellement vers d’autres champs du sonore. Les praticiens du son oeuvrent souvent dans plusieurs domaines à la fois (théâtre, radio, cinéma, art contemporain et musique bien sûr). Nous retrouvons dans cette rubrique les liens vers des sites spécialisés cinéma, création radiophonique, musique ou art contemporain.

Un avenir à écrire ensemble

Le site est encore tout jeune et suscite visiblement l’intérêt en termes de statistiques de fréquentation. Il faut maintenant que les intéressés s’en emparent pour le faire vivre, comme le précise Thibaut Farineau : “Pour l’instant, la communauté n’est pas assez importante pour rendre les post réactifs, pour que cela fasse réellement discussion. C’est l’enjeu”.

Antoine Richard complète : “Il y a une part d’utopie à imaginer qu’une plate-forme comme Silences Plateaux puisse fonctionner de façon autonome par l’addition des contributions. Aujourd’hui, personne dans l’équipe n’a vocation à se professionnaliser pour gérer le site. Mais si le retour est à la hauteur de nos attentes, nous sommes prêts à nous donner les moyens d’y répondre. En se structurant en association par exemple, ce qui nous permettrait de faire vivre le projet au-delà du site, autour de rencontres et d’évènements.
L’envie existe mais pour l’instant nous engageons notre énergie bénévolement à créer une dynamique. […].  À ce titre, nous aimerions fédérer une petite équipe autour de nous pour gérer la plate-forme, la rendre plus vivante, fournir du conten
u”.

Avis aux intéressé.e.s. “La question de la professionnalisation de l’activité est prématurée”, ajoute Margaux Robin. “Pour l’instant, nous n’avons pas l’ambition de l’Union des créateurs lumière, par exemple, qui possède une organisation structurée, une activité quasi syndicale.
Nous souhaitons insuffler une communication au sein du métier. Dire à tous ces solitaires qu’il existe un endroit où ils peuvent être moins seuls. Et c’est un travail de longue haleine !
”. Gageons que les acteurs concernés sauront entendre cet appel au ralliement et qu’ils viendront de plus en plus nombreux s’inscrire en ligne pour partager leurs questionnements et leur vécu, donnant du corps à ce projet ambitieux et généreux. silencesplateaux.fr a vocation devenir un centre de ressources incontournable et le point de ralliement nécessaire pour ce métier hors norme qui s’exerce souvent hors des sentiers battus.

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